samedi 9 juillet 2011

L'indignation, un phoenix européen

Campement des indignés de Barcelone, début juin (© Thiébaut Weber)

A l’heure où le mouvement des indignés espagnols semble marquer le pas, il est difficile de prédire exactement l’avenir de ce mouvement. Il parait cependant nécessaire de garder un œil attentif sur le phénomène qui, au-delà des campements organisés ça et là en Espagne, marque la trame de fond de cette mobilisation spontanée. 

Retour sur une mobilisation spontanée 

Il trouve sa source au Portugal où les jeunes du mouvement « Geração à rasca » (Génération dans la dèche) organisa le 12 mars dernier une manifestation qui fut selon la presse « le plus grand mouvement social de l'histoire de la démocratie portugaise ». 300.000 à 400.000 personnes se sont mobilisées dans un pays qui compte un peu plus de 10 Millions d’habitants. Ce mouvement spontané, que personne n’avait vu venir, a servi de modèle aux jeunes madrilènes et barcelonais qui, à partir du 15 mai, lancèrent en Espagne le mouvement des « indignados », dont le nom est inspiré du désormais célèbre pamphlet de Stéphane Hessel : « Indignez-vous ! », qui fait un carton en Espagne. C’est la dispersion sans ménagement par la police d’un petit rassemblement pacifique sur une place de Madrid qui a poussé les premiers indignés à planter leurs tentes sur la Puerta del Sol, place névralgique de la capitale madrilène. Les jeunes grecs ont emboité le pas à leurs collègues de la péninsule ibérique en organisant le 5 juin une mobilisation qui a rassemblé plusieurs milliers de manifestants dans les villes du pays. 

Le fait que ce mouvement ait connu son essor au Portugal, en Espagne et en Grèce, ne doit rien au hasard. Ces trois pays présentent en effet des caractéristiques communes : 
  • Mise en œuvre de plans d’austérité drastiques dont les effets sur la solvabilité des pays restent discutables 
  • Défiance vis-à-vis des socialistes au pouvoir, jugés coupables d’avoir trahi en imposant l’austérité
  • Mise en débat de la question démocratique, avec une dénonciation des partis politiques et des syndicats. 
  • Taux de chômage des jeunes beaucoup plus élevé que dans les autres pays (plus de 40% en Espagne et en Grèce)

Les inspirations du mouvement 

Les exemples tunisiens et égyptiens sont évidemment dans toutes les têtes indignées du Portugal, d’Espagne, et dans une moindre mesure de Grèce. Pour autant, l’objectif affiché des indignés n’est pas de renverser les gouvernements en place. Il est bien plus de peser dans le débat démocratique, et même sur la démocratie elle-même, en s’inspirant des méthodes profondément pacifistes adoptées par les jeunes du Maghreb et du Machrek. Plus que de renverser un régime, les indignés ont pour but de donner un nouveau souffle à la démocratie et de redonner prise au pouvoir politique sur le « pouvoir » économique. C’est cet objectif qui pousse les indignés autogérés espagnols à veiller à ce que le mouvement garde une crédibilité aux yeux de l’opinion publique, gage essentiel de son soutien. Dans les assemblées et les différents campements qui subsistent encore, le message est clair : « No es un botellón !» (« Ce n’est pas un apéro géant »). Le malaise exprimé par les indignés se traduit donc dans des modalités d’action pacifiques et revendiquées comme « civiques ». Du dire même des indignés rencontrés à Barcelone, ce mouvement doit rester « crédible » et « éviter tout débordement » pour peser véritablement dans le débat démocratique. 
Pancarte dans le campement de Girona, début juin (© Thiébaut Weber)

Il est à noter que la Grèce présente un visage beaucoup plus radical du mouvement. Dans ce pays, de plus grands bouleversements politiques qu’en Espagne et au Portugal ne sont pas à exclure. 

L'indignation marque le pas 

En France et ce malgré quelques « foyers », le mouvement reste marginal. A l’initiative d’étudiants espagnols, des rassemblements ont été initiés à Paris en juin (place de la Bastille), mais les tentatives d’établissement d’un campement ont rapidement été contrecarrées par les forces de l’ordre. La mobilisation prend donc, pour l’heure, la forme de rassemblements quotidiens qui se déroulement dans plusieurs villes de France. Ces derniers ne sont en rien relatés par les médias. En Italie, aucune tentative de mobilisation n’a été observée pour le moment. Du dire même des jeunes syndicalistes italiens que j'ai pu croiser à la Confédération Européenne des Syndicats, la jeunesse engagée italienne reste concentrée sur la situation politique provoquée par le style particulier de Silvio Berlusconi. Dans les autres pays européen : rien à signaler pour le moment. 

L’avenir de cette mobilisation est aujourd'hui plus qu'incertain. En Espagne, le mouvement a montré quelques signes d’essoufflement et les « indignados » madrilènes ont démonté le 12 juin dernier le campement de Puerta del Sol. Loin de marquer la fin du mouvement, les indignés souhaitent surfer sur le soutien de l’opinion publique pour aller vers la population et organise maintenant des commissions de débat un peu partout. Au niveau européen, l'avenir du mouvement à court terme semble compromis au regard des tentatives qui n’aboutissent pas, en France notamment. 

Et pourtant...

Il doit néanmoins garder toute notre attention car les suites de la crise des dettes souveraines et les épisodes à venir dans le(s) débat(s) démocratique(s) en Europe peuvent influer fortement l’essor de ce mouvement. Si les pays sont frappés de manière diverse par la crise et ses suites, il existe néanmoins des traits communs partagés qui pourraient conditionner le développement d’un mouvement spontané d’ampleur au niveau européen : 
  • Montée des populismes avec un potentiel fort de réaction de la jeunesse (le plus souvent diplômée) en Europe. 
  • Une Europe de plus en plus vécue au quotidien par les jeunes (Erasmus, proximité avec des étudiants étrangers dans les universités, etc.). 
  • Des réseaux sociaux (Facebook et Twitter) qui peuvent jouer un rôle considérable de vecteur d’accélération du mouvement. 
  • Des thèmes communs (austérité, démocratie, chômage de masse, etc.) qui, même s’ils touchent les pays à des degrés divers, sont des sujets de débats « qui parlent » aux jeunes de tous les pays. A titre d’exemple, une étude Ifop du 16 juin montre que près d'un Français sur deux (48%) se dit "révolté" par la situation économique et sociale de la France 
Barcelone: Les indignés sont connectés au monde (© Thiébaut Weber)
Si une propagation du mouvement est à exclure à court-terme, le « terreau favorable européen » décrit plus haut, fait que le possible essor de ce mouvement reste latent. Cela pourrait prendre des mois, voire plus d’un an. 
Et au-delà de l’avenir immédiat de cette mobilisation, cette dernière nous livre quelques enseignements sur l’évolution des formes de mobilisation de la jeunesse. Le caractère de plus en plus européen, l’impératif de crédibilité, la mise en place de cadres d’action vierges de toute présence politique ou syndicale formalisée(1), présentent les traits d’un espace d’engagement potentiellement de plus en plus attrayant pour de nombreux jeunes. La première surprise que m'ont livré les jeunes militants du syndicat espagnol Comisiones Obreras (CCOO) fut par exemple de voir nombre de leurs proches et amis, réputés « apolitiques » et non-engagés, s’investir à fond dans ce mouvement. Des potes comme on en connait tous un paquet. 
Autant dire qu'un mouvement de ce type peut donc, à l'avenir, attirer sans problème une jeunesse européenne en quête de sens. Reste à trouver l'étincelle.

(1) Même si en Espagne, de nombreux jeunes militants syndicaux participent activement au mouvement

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