samedi 12 février 2011

Paroles de Français: l'arnaque "sans précédent" de Sarkozy sur l'emploi

© express.fr
Je dois l'avouer, je fais parti des 25% à peine de 25-34 ans qui ont regardé, ou plutôt subi, la prestation de Nicolas Sarkozy dans l'émission Paroles de français. Ce ne fut pas une partie de plaisir, et le fauteuil dans lequel j'étais assis se souvient encore des nombreux bonds que j'ai fait tout au long de la soirée. Sécurité, immigration, justice, islam: il faut dire que TF1 avait déjà bien salé le menu que notre cher président ne s'est pas privé d'alourdir un peu plus. Au-dela de ces thèmes, c'est sur la question de l'emploi que j'attendais Nicolas Sarkozy. Autant dire qu'au moment où ce domaine a été abordé, mon siège n'en était pas au bout de ses peines.

Sans sourciller, Sarko n'a rien annoncé de moins qu'un "plan sans précédent" pour l'emploi. Rien que ça! Dans sa besace, un chèque de 500 millions d'euros destiné à doper les contrats en alternance, à renforcer l'accompagnement des chômeurs de longue durée et à favoriser l'insertion professionnelle des "jeunes des quartiers". 

A l'inverse du survol des sujets orchestré jeudi par Jean-Pierre Pernaut, je vous propose de disséquer toutes ces annonces. Je vous annonce tout de suite la couleur: on s'est bien fait enflé.

"500 millions d'euros de plus pour l'emploi": Un peu moins dans le moins

L'investissement parait conséquent, mais il est beaucoup moins impressionnant que la diminution des crédits de l'emploi, du travail et de la formation professionnelle actée dans la loi de finances de l'Etat pour 2011. Ce sont en effet 11,4 milliards d'euros qui ont été prévus pour cette année contre 15 milliards en 2010, soit une baisse de 24% des crédits. Avec le demi-milliard annoncé jeudi soir, le budget de l'emploi restera donc amputé de 3,1 milliards d'euros par rapport à 2010. On aura vu mieux comme "plan sans précédent" pour l'emploi.

Mêmes symptômes concernant les contrats aidés. Ces contrats uniques d'insertion (CUI), pris en charge à 70% par l'Etat, visent à faciliter l'embauche d'individus très éloignés de l'emploi. Le président a annoncé jeudi vouloir financer 110.000 contrats aidés supplémentaires en 2011. La réalité est moins généreuse et cette déclaration vient poursuivre trois années de stop and go dans la gestion gouvernementale du nombre de CUI. De 330.000 contrats aidés déployés en 2009, le gouvernement avait placé la barre à 500.000 contrats en 2010 avant de baisser leur nombre à 390.000 contrats dans le budget 2011. Résultat: les 110.000 contrats "supplémentaires" promis par l'ami Sarkozy ne feront donc que rétablir le nombre de contrat qui préexistait en 2010. "Sans précédent" qu'il nous a dit le monsieur.

"Un million de jeunes en alternance": J'ai dit combien?

L'objectif de booster le nombre de contrats en alternance est partagé par tout ce que le monde du social et de l'éducation compte d'acteurs. Je partage cette ambition. Mais la tâche parait difficile étant donné la morosité ambiante sur le marché de l'emploi. Fin 2010, les statistiques du ministère du Travail annonçaient 414.000 contrats d'apprentissage et 173.000 contrats de professionnalisation, c'est à dire moins qu'en 2005. La crise est passée par là et les employeurs ont boudé l'alternance malgré les aidés et autres exonérations de "charges" initiées par le plan de relance de 2009*. Ce ne sont donc pas des nouvelles exonérations qui vont pérenniser l'alternance et assurer l'essor de ce dispositif, mais bien plus un engagement volontariste des entreprises et des branches dans ces formations, comme c'est le cas en Allemagne. 

Qui plus est, si les journalistes avaient un peu moins le nez plongé dans l'actualité immédiate, ils auraient sans doute découvert le pot aux roses quant aux ambitions affichées par le président. Dès 2009, le président avait déjà annoncé vouloir "doubler le nombre de contrats en alternance", soit passer de 600.000 à 1,2 million de contrats. Cet objectif avait même été réaffirmé par le même Nicolas Sarkozy lors de son interview télévisée du 16 novembre 2010. Mais avec un million de contrats annoncés jeudi soir, ce sont 200.000 d'entre eux qui ont disparu de l'objectif présidentiel. Qui sait, encore deux interviews d'ici 2012 et l'objectif affiché pourrait bien être d'en rester à la situation actuelle.

"Proposer à tous les chômeurs de longue durée soit une formation qualifiante, soit un emploi": Tous! Ou presque.

Très fort! Sarkozy nous propose ici ce qui devrait être le quotidien de l'action de Pôle Emploi. Par cette mesure, il reconnait de fait le désastre causé par son action et celle du gouvernement dans le pilotage du service public de l'emploi. Malheureusement, pas une "parole de français" n'est venue lui rappeler les coupes claires effectuées en 2010 dans les moyens humains et financiers de Pôle Emploi. Alors même que le chômage de longue durée a explosé en 2010 (+36%), l'Etat s'est payé le luxe de supprimer 1.800 postes à Pôle Emploi tout en diminuant sensiblement la subvention qu'il lui alloue chaque année. 

La France compte actuellement 1,5 million de chômeurs de longue durée, c'est à dire au chômage depuis plus d'un an. Si nous suivons le président, "tous" ces individus devraient se voir proposé un accompagnement renforcé dans les trois mois. Mais il y a un hic, et il vient de Xavier Bertrand. Dans un entretien au Figaro publié le lendemain de l'interview présidentielle, le ministre du Travail annonce pour sa part que 130.000 chômeurs de longue durée seront accompagnés en 2011 (+30% par rapport à 2010). De la totalité des chômeurs de longue durée évoquée par le patron la veille, on passe donc à même pas 9% d'entre eux. Du volontarisme comme on aime!

Favoriser l'insertion professionnelle des "jeunes des quartiers": la blague!

Xavier Bertrand (toujours lui) a poursuivi vendredi le service après-vente des annonces présidentielles lors d'un déplacement à Lille. Il a précisé à cette occasion la nature exacte des fameux contrats aidés à destination des "jeunes des quartiers" évoqués par son mentor, quelques heures avant, sur le plateau de TF1. L'objectif est selon lui d'"augmenter de 50% le nombre de contrats d'autonomie pour les jeunes dans les quartiers sensibles" et de le porter à 15.000 en 2011. Enième bond sur mon pauvre fauteuil. L'échec cuisant de ce contrat, lancé en 2007 par Fadela Amara, aurait dû légitimer son enterrement en 2011. C'est sans compter dans l'obstination du gouvernement à prolonger des mesures dont l'inefficacité ne fait plus de doutes. Fadela Amara elle-même reconnaissait devant l'Assemblée nationale le 8 septembre 2010 que 15% seulement des contrats d'autonomie signés jusque là avaient débouché sur un emploi stable ou une formation qualifiante.


Ma dissection s'arrête ici. Elle pourrait se prolonger dans d'autres domaines, mais la nausée n'est pas loin. Une chose est sûre, l'émission Paroles de français n'a pas engagé la parole aux français du président du "travailler plus pour gagner plus".


* Cela démontre un peu plus que le "déficit de compétitivité" de la France n'est pas lié au soi-disant coût exorbitant du travail. En effet les contrats en alternance, tous comme des contrats aidés, coutent moins chers aux employeurs qu'un CDD ou un CDI "normal". 

1 commentaire:

  1. 1000 postes de conseillers en moins dans les missions locales ; la non reconduction du plan de relance va sûrement favoriser l'accompagnement des jeunes, notamment vers l'apprentissage !

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